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Mémoire du SPUQ présenté à la Commission parlementaire sur la qualité, l'accessibilité et le financement des universités
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Mémoires

6 février 2004

Mémoire du SPUQ présenté à la Commission parlementaire sur la qualité, l'accessibilité et le financement des universités

 

Fondé en 1970, le Syndicat des professeurs et professeures de l'UQAM regroupe les 1 000 professeurs et maîtres de langue de l'UQAM. Il a été accrédité le 25 janvier 1971 pour représenter les professeurs à plein temps et à demi-temps, et le 14 avril 1998 pour représenter les maîtres de langue. Il est doublement affilié, à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) depuis sa fondation, et à la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU) depuis 1992.

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La mission de l'université; les conditions de sa réalisation

Institution de haut savoir, l'université a pour objectif de faire progresser et de transmettre les connaissances. Pour réaliser sa mission, elle doit disposer de la plus grande autonomie, être entièrement libre de la définition de ses programmes et de l’orientation de sa recherche, être indépendante de tout organisme extérieur, gouvernements, entreprise privée, corporation professionnelle, etc., ainsi que de toute influence économique, politique ou religieuse.

Ces conditions supposent un financement public adéquat, en l’absence duquel l'université se trouve forcée de recourir à des sources privées de financement, qui ne sont jamais inconditionnelles. Elle devient dès lors perméable aux influences extérieures. Quand une entreprise apporte une participation financière, il est rare qu’elle soit désintéressée. Elle le fait dans le cadre de partenariats université-entreprise, qui ont pour objectif de développer des créneaux axés sur ses besoins propres. Cela ne peut qu’influer sur l’orientation de la recherche qui devient de plus en plus une recherche directement utilitaire, axée sur « l’innovation sociale et industrielle », c’est-à-dire sur des besoins immédiats et particuliers, au détriment de la recherche libre et fondamentale qui est le véritable pivot du développement de la connaissance en général.

L'université doit être au service de l'ensemble de la société. Toutes les composantes de la société bénéficient de son apport au développement culturel, scientifique et économique, et il est normal qu'elles y contribuent par une fiscalité adéquate. L'entreprise, qui est l'un des principaux bénéficiaires de l'apport de l'université, doit être associée à son financement, non par une contribution directe, mais par l'intermédiaire de la fiscalité. C'est pourquoi nous en appelons instamment au gouvernement pour qu'il renonce à toute réduction d'impôts, qui aurait comme conséquence, entre autres, de le priver des fonds qu’il a la responsabilité d’allouer aux universités pour leur permettre de développer leurs activités dans la plus complète autonomie.


L'accès aux études supérieures et les droits de scolarité

Pour réaliser sa mission au service de l'ensemble de la société, le Québec s’est doté au cœur de la Révolution tranquille, à la fin des années 1960, d’un réseau de collèges et d’universités publiques qui couvre depuis lors l’ensemble du territoire. Ce développement constitue un acquis inestimable qui a été un immense facteur de démocratisation favorisant l’accès aux études dans toutes les régions du Québec et constituant dans chacune de ces régions un formidable pôle de développement. Depuis ce temps, nombre d'étudiants ne sont plus obligés de quitter leur région pour aller se former à l’extérieur, et sont par conséquent davantage incités à y rester, une fois leurs études terminées, pour contribuer à leur développement. Nous considérons cela comme une grande richesse et comme un acquis qui ne doit sous aucune considération être remis en question, mais qui doit au contraire être renforcé.

Si nous devons nous réjouir de cet acquis qui a, au premier chef, favorisé l'accès à la formation universitaire, nous ne pouvons que nous inquiéter de l'hypothèse d’une augmentation des droits de scolarité, de plus en plus présentée comme le moyen incontournable d’assurer le financement des universités. Nous ne souscrivons pas à cette hypothèse. Nous refusons la référence constante de ses protagonistes au mode de financement utilisé dans d’autres provinces du Canada qui se sont malheureusement engagées dans cette voie de l’augmentation des droits de scolarité. Nous la refusons d'abord par principe, attachés que nous sommes à l'objectif de l'accès le plus large et démocratique à l'éducation à tous les ordres d'enseignement, indépendamment des ressources financières dont les étudiants disposent. Cet accès demeure encore largement tributaire des revenus des parents et ce sont les enfants des couches économiquement, socialement et culturellement privilégiées qui en profitent davantage que ceux des couches socio-économiques moins bien pourvues. Comme le démontrait récemment un rapport préparé par un comité consultatif du Conseil supérieur de l’éducation[1]. L’augmentation des droits de scolarité contribuerait à creuser davantage cet écart. Nous le refusons aussi, enfin, parce que le Québec, en dépit des immenses progrès réalisés à ce chapitre, tire encore de l'arrière quant à la proportion de sa population qui dispose d'une formation universitaire[2].

Nous ne pouvons fermer les yeux non plus sur l'énorme endettement qui accable déjà les étudiants dans la situation actuelle et qui augmenterait encore davantage si les droits de scolarité devaient être augmentés. Cet endettement nous donne également à penser qu’il serait sans doute temps de transformer l’actuel système de prêts et de bourses aux étudiants en leur accordant d’abord une aide financière sous forme de bourse, et ensuite seulement, si nécessaire, sous forme de prêt. Nous ne pouvons enfin nous convaincre qu'une hausse des droits de scolarité aurait d'autre effet que de permettre au gouvernement de réduire sa contribution, passant ainsi la note aux étudiants sans améliorer le financement universitaire. Au cas où le gouvernement, fidèle à ses agissements de l'automne dernier qui l'ont amené à forcer en fin de session l'adoption sous le bâillon d'un ensemble de lois antisyndicales et antisociales, s'aviserait de se réclamer de nouveau d'un mandat fictif des électeurs pour procéder à une hausse des droits de scolarité, nous lui rappelons qu'un sondage Léger Marketing-Le Devoir-CKAC-The Globe and Mail vient de révéler qu'une majorité de 57 % des Québécois favorise le maintien du gel des droits de scolarité, contre 35 % qui sont favorables à leur indexation[3].


L'université menacée

Au cours des vingt dernières années, de dangereuses tendances se sont manifestées à l'échelle mondiale, qui constituent une menace véritable pour l'institution universitaire. Cibles privilégiées des politiques gouvernementales à l'égard des finances publiques et de la privatisation, les missions sociales de l'État, dont la mission universitaire, ont subi de lourdes réductions de leur financement et se sont vu imposer des modes de gestion importés de l'entreprise privée. On s'est mis, selon l'expression connue, à « gérer l'université comme une " business " », à lier son financement à des « contrats de performance ». La raréfaction du financement public et le poids croissant du financement privé ont inscrit les établissements dans une relation de concurrence, en quête de fonds et de statut, dans un nouveau contexte qui incite :

  • à une hiérarchisation des établissements entre « grandes universités de recherche » et universités de second rang confinées au premier cycle;
  • à une remise en question des universités en région et de leur développement aux trois cycles d'études;
  • à la spécialisation des universités, en liant leur soutien financier aux efforts de « rationalisation » des programmes;
  • au développement de programmes courts, taillés sur mesure pour répondre aux besoins des entreprises;
  • à la reconnaissance d'une prétendue quatrième mission universitaire que serait la « commercialisation des résultats de l'innovation », les trois missions universellement reconnues étant l'enseignement, la recherche et le service à la collectivité;
  • à l’institution d’un statut de « professeur-entrepreneur » et à la transformation de l'université en incubatrice d'entreprises « dérivées », faisant transiter vers leurs actionnaires les fruits financiers, appropriés privément, de travaux de recherche financés par les fonds publics;
  • à la déréglementation des droits de scolarité par établissement et par domaine disciplinaire;
  • à l'accroissement des différenciations salariales au sein du corps professoral par l'augmentation des primes de marché et des statuts différenciés selon les domaines de compétence.


Les grandes organisations internationales, comme la Banque mondiale, l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC), sont les chefs de file de ces orientations auxquelles nos gouvernements, à Québec comme à Ottawa, se sont montrés perméables[4]. Elles se sont par ailleurs engagées dans une lutte à finir pour transformer ce bien public qu’est l'enseignement universitaire en un produit privé à écouler sur le marché comme un élément du commerce mondial, livré au libre-échange. Si nous ne résistons pas à ces tendances, il en sera fini de l'université démocratique à laquelle nous sommes attachés, de l'université du patrimoine collectif, au service de tous et de toutes, de l’université comme facteur d’émancipation et de développement, en un mot, de l'université comme service public. Pour nous, les conditions de la réalisation de cette université comme service public sont les suivantes : un réseau universitaire intégré fondé sur la concertation, des zones d’implantation délimitées, le français comme langue d’enseignement dans les universités francophones, un financement adéquat de l’enseignement et de la recherche, des ressources professorales en nombre suffisant.


Un réseau universitaire intégré fondé sur la concertation

Nous estimons d'abord que le réseau des universités au Québec ne peut réaliser la mission qui lui incombe si les établissements qui le composent se conçoivent comme des unités indépendantes animées par la concurrence pour l'obtention de fonds, pour la conquête des effectifs étudiants, pour l'accès à un statut d'université de recherche, ou encore pour le xe rang au Québec, au Canada, en Amérique du Nord ou dans le monde, concurrence qui engendre l'élitisme, qui pousse à la segmentation du corps professoral et à la hiérarchisation des établissements. Nous sommes d'avis que la voie à suivre est celle de la recherche d'une complémentarité par une action concertée d'établissements qui sont les composantes nécessaires d'un ensemble intégré auquel chacun participe à part entière tout en ayant sa spécificité propre. Cet ensemble serait doté d’instances indépendantes appropriées, aux fins de la gestion de ses activités et de la planification de son développement.

En formulant cette proposition, nous réitérons celle que nous avions soumise en 1995 à la Commission des États généraux sur l’éducation[5], proposition à laquelle les gouvernements qui se sont succédés à Québec n’ont pas donné de suite, mais qui conserve aujourd’hui toute sa pertinence. En fait, son origine est beaucoup plus ancienne. Elle a germé en effet au cœur des discussions menées dans le cadre des réflexions de la célèbre Commission Parent dans les années 1960, dont les recommandations, on le sait, ont été déterminantes pour l’évolution de l’ensemble du système d’éducation au Québec et son entrée dans l’âge moderne après les années noires du duplessisme. Comme le rappelait l’un des anciens membres de cette commission, le sociologue Guy Rocher de l’Université de Montréal, lors d’une conférence organisée à l’UQAM par le SPUQ en décembre 1990, des hauts fonctionnaires du ministère de l’Éducation avaient conçu en 1965 le projet d’un réseau universitaire national, « l’Université du Québec totale », réunissant l’ensemble des établissements, anglophones et francophones. On se replia ensuite sur un projet différent, celui de la création, dans un premier temps, du seul réseau des constituantes de l’Université du Québec : par les tensions qu’elle susciterait, l’UQ jouerait le rôle du « virus introduit dans le système », qui mènerait par la suite à « l’Université du Québec totale ». La loi de 1968 créant l’Université du Québec prévoyait en effet l’intégration à l’Université du Québec de toute université existante qui souhaiterait s’y associer, mais les laissait libres de leur choix. L’Université du Québec est ainsi demeurée le réseau de ses seules constituantes[6], assumant seule la responsabilité du développement essentiel des services universitaires à l’extérieur des grands centres, alors que cette responsabilité aurait dû, et devrait toujours aujourd’hui, relever du réseau dans son ensemble[7].

Nous réitérons donc cette proposition d’un réseau unique intégré fondé sur la concertation et la complémentarité, chapeauté par des instances de coordination indépendantes pour lesquelles nous reprenons à notre compte les propositions suivantes, formulées en 1997 par la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université[8] :

  • la création d’une Commission nationale des Universités, permanente, publique, indépendante et multipartite chargée de promouvoir le développement du réseau universitaire dans sa totalité, de préserver l’intégrité de l’institution et le respect des principes qui la fondent, en particulier la liberté académique et l’autonomie institutionnelle, d’aviser et de conseiller le gouvernement et les composantes de la communauté universitaire sur toute question relative à l’enseignement, à la recherche, à la formation des étudiantes et des étudiants et au financement;
  • la transformation du statut de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, actuellement corporation privée instituée en vertu de la Loi des compagnies, mais financée à même les fonds publics alloués aux universités, en celui d’un organisme public regroupant les établissements reconnus en vertu de la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire; la révision des mandats publics confiés à cet organisme afin d’assurer la nette démarcation entre les mandats de nature académique qui devraient relever de la Commission nationale des Universités, et ceux qui relèvent de l’administration proprement dite des établissements.



Des zones d’implantation délimitées

L'instauration d'une concertation au sein d'un réseau unique et intégré, chapeauté par une Commission nationale chargée de promouvoir son développement dans sa totalité, permettrait, en particulier, de délimiter les zones d'implantation des établissements et d'éliminer ainsi le type de concurrence qui les mène à des situations aussi aberrantes, pour ne mentionner que celle-là, que l'installation à Longueuil d'une succursale de l'Université de Sherbrooke, sur le territoire de la métropole montréalaise qui est déjà desservi par quatre universités. Dans l'attente de la création d'une telle commission, il est de la responsabilité du bailleur de fonds qu'est le gouvernement de faire l'arbitrage approprié dans de telles situations et d'établir des règles claires.


Le français, langue d’enseignement dans les université francophones

Il est tout autant de la responsabilité du gouvernement de voir à ce que soit endiguée la dérive actuellement en cours dans certaines universités francophones quant à l'usage de l'anglais comme langue d'enseignement. Le réseau francophone des universités au Québec n'est-t-il pas tenu de dispenser son enseignement en français sauf dans les cas normalement justifiés de l’enseignement des langues et des littératures étrangères ? Le prétexte de la concurrence avec les autres universités, en particulier avec les universités anglophones dont le mandat spécifique est de dispenser leur enseignement en anglais, est selon nous irrecevable; tout autant que l’argument selon lequel il faudrait former les étudiants en anglais pour mieux les préparer au marché du travail. La société québécoise s’est précisément donné l’objectif de faire du français la véritable langue du travail et de multiplier les efforts pour franciser les milieux de travail qui ne le sont toujours pas vingt-six ans après l’adoption de la Charte de la langue française. Les universités francophones ont une responsabilité de premier plan à cet égard et doivent tout mettre en œuvre pour l’assumer. Elles ne doivent ni ne devraient pouvoir y renoncer. Sauf avis contraire, le mandat que la société québécoise leur a donné est de dispenser leur enseignement en français et de faire du français leur langue de communication. Nous travaillons à ce que la politique linguistique que l'UQAM est sur le point d'adopter respecte ce mandat. Au nom de quoi en serait-il différemment des autres universités francophones ?


Un financement adéquat de l’enseignement et de la recherche

La recherche universitaire a connu un remarquable développement au cours des deux dernières décennies. Il faut s'en réjouir et lui donner les moyens de poursuivre sur cette lancée, au premier titre par l'entretien, l'amélioration et l'élargissement des infrastructures et par un financement gouvernemental adéquat de la recherche comme telle et de ses frais indirects. Aussi, nous ne pouvons que condamner la décision du gouvernement, annoncée lors de la présentation de son premier budget en juin dernier, de réduire, pour la première fois depuis vingt ans, les fonds alloués aux trois organismes qui offrent un financement public de la recherche scientifique au Québec[9], dont une partie substantielle est destinée à la recherche universitaire. Nous joignons notre voix à celle de tous les scientifiques du Québec pour réclamer que le niveau de ce financement et son taux de croissance annuel soient au minimum rétablis. Nous estimons particulièrement déplorable que le gouvernement semble remettre en question un mode de financement public de la recherche qui est particulier au Québec et y constitue un puissant levier de développement, alors même que d'autres provinces du Canada, comme l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique, ont commencé à s'en inspirer, ainsi que le Massachusetts et l'Illinois aux États-Unis.

L'impressionnante progression de la recherche durant les deux dernières décennies et la valorisation justifiée qui en est faite ont malheureusement relégué l'enseignement au deuxième plan, particulièrement l'enseignement de premier cycle, dans une échelle de valeurs devenue de plus en plus élitiste. Ce déplacement d’accent et de priorité accompagne lui-même un processus de transformation global de l’université, un véritable changement de paradigme, qui la fait passer d’un statut d’institution vouée à la formation de têtes bien faites à celui de laboratoire de recherche, lui-même régi par la logique opérationnelle de l’entreprise, processus de renversement et de transmutation qu’a mis en lumière notre collègue Michel Freitag dans Le naufrage de l’université[10]. On a tellement singularisé, voire survalorisé la recherche qu'on a même cru utile d'inventer, dans notre paysage local québécois, ce nouveau titre pléonastique pédant de « professeur-chercheur », comme s'il n'allait pas de soi dans l'ensemble du monde occidental, depuis la création de l'Université de Berlin en 1810 et la réforme des universités prussiennes à l'instigation du ministre de l'éducation Wilhelm von Humboldt, que le rôle du professeur d'université est compris comme intégrant la fonction de recherche[11].

Une université de qualité doit non seulement s'acquitter de sa mission de recherche, mais tout mettre en œuvre pour que soit réalisée avec la même conviction et le même engagement sa mission d'enseignement, se donner comme obligation une formation de qualité et la réussite du plus grand nombre en offrant l'encadrement et les moyens nécessaires pour combattre l'échec et l'abandon. Se pose donc ici aussi la question des moyens matériels et humains de la réalisation de ces objectifs et par conséquent de leur financement : amélioration des ressources bibliothécaires, documentaires et informatiques, de laboratoires et d'ateliers; embauche d'effectifs adéquats de personnel de soutien dotés de conditions de travail à la hauteur de leur travail essentiel; amélioration de la rémunération et des conditions de travail des chargés de cours, sur qui repose toujours près de la moitié de l'enseignement universitaire dans l'ensemble des universités québécoises (Tableau 6, p. 8 du document de consultation); augmentation du nombre de professeurs réguliers.


Des ressources professorales en nombre suffisant

Après une chute dramatique de plus de 1 000 (près de 12 %) entre les années 1994-1995 et 1999-2000, le nombre de professeurs réguliers dans les universités québécoises a lentement recommencé à augmenter depuis lors, mais n'avait encore rattrapé que moins de la moitié du terrain perdu trois ans plus tard, en 2002-2003 (Tableau 4, p. 8 du document de consultation). Mais cette augmentation, à première vue encourageante, a été moins rapide que l'augmentation du nombre d'étudiants pendant la même période, ce qui signifie que la situation nette s'est encore détériorée. Voici les chiffres, tirés des tableaux 7 et 20 du document de consultation : de l'année 2000-2001 à l'année 2002-2003, l'effectif étudiant équivalent temps plein (EEETP) augmentait de 163 280 à 177 851, soit de 8,92 %, alors que l'effectif professoral augmentait de 8 021 à 8 475, soit de 5,66 % : loin de se résorber, le déficit s'est creusé de 2,5 %.

Subsiste donc dans toute son ampleur le très sérieux problème de l'insuffisance de ressources professorales dans les universités du Québec, un problème qui n'est pas en voie d'être résolu, mais qui tend plutôt à s'aggraver. Il n'est pas superflu de rappeler que la construction d'une université de qualité ne peut reposer que sur le recours prépondérant à un corps professoral régulier réalisant le lien essentiel entre enseignement et recherche et bénéficiant d'une permanence et d'une sécurité d'emploi qui sont les garanties de la liberté académique et de la fonction critique. Personne n'a encore démontré en quoi la précarité et l'insécurité d'emploi seraient un meilleur gage de la qualité de l'enseignement et de la recherche. Le gouvernement doit donc, selon nous, dégager les moyens financiers pour qu'au minimum et dans les meilleurs délais, le réseau universitaire puisse procéder à l'embauche du nombre de professeurs réguliers permettant de rétablir le rapport entre l'effectif étudiant équivalent temps plein (EEETP) et l'effectif professoral qui étaient en vigueur en 1994-1995, date du début de la décroissance de l'effectif professoral, comme l'indique le Tableau 4 du document de consultation.


En conclusion : le réinvestissement gouvernemental, une nécessité absolue

La nécessité d'un réinvestissement gouvernemental massif dans les universités, au-delà des réajustements déjà entrepris, a été confirmée l'an dernier de manière probante par les résultats d'une étude réalisée par le ministère de l’Éducation du Québec en collaboration avec la CREPUQ, publiée le 30 janvier 2003, qui démontre que le financement annuel de base des universités québécoises souffrait à cette date d’un déficit de 375 millions de dollars par rapport à celui dont bénéficient les universités du reste du Canada, dont 261 millions de dollars en fonds publics[12]. Il appartient donc au gouvernement d'agir de façon urgente !

Il s'agit de sommes fort importantes, nous en convenons, et, conscients de ce qu'un énorme pouvoir de dépenser est actuellement concentré à Ottawa où le gouvernement fédéral ne cesse d'empiéter sur les pouvoirs de dépenser des provinces, nous sommes, il va sans dire, parmi ceux, fort nombreux, qui réclament du gouvernement fédéral qu'il réponde positivement à la demande formulée par le Québec, mais aussi par les autres provinces, quant au règlement du déséquilibre fiscal. Nous appuyons donc les interventions du gouvernement du Québec à cet effet, tout comme nous sommes avec lui pour réclamer que le gouvernement fédéral cesse d'empiéter sur les prérogatives des provinces en matière de dépenses, en violation de la Constitution canadienne, et qu'il mette un terme en conséquence à ses programmes des Bourses du millénaire, de la Fondation canadienne pour l'innovation et des Chaires de recherche du Canada, et verse aux provinces les fonds qui leur reviennent de droit et qui leur manquent pour financer leurs dépenses dans le domaine de l'enseignement postsecondaire.

En résumé, la vision de l'université que nous défendons est celle de l'université comme service public, une université qui a la responsabilité sociale d'assurer la formation supérieure des citoyens et des citoyennes et de développer les connaissances, et de contribuer ainsi au progrès de la société dans son ensemble :

  • une université accessible à tous et à toutes, axée sur la réussite du plus grand nombre, menant une action pédagogique systématique contre l’échec et l’abandon;
  • une université financée essentiellement par les fonds publics et dotée d’un niveau de financement adéquat, misant sur des emplois stables et non sur la précarité;
  • une université autonome vis-à-vis de tout pouvoir extérieur, qu’il soit politique, religieux ou économique;
  • une université devant rendre compte à la société et aux autorités publiques de la gestion des fonds qui lui sont alloués et des grandes orientations de son développement, mais entièrement libre de sa gouverne administrative et académique;
  • une université fondée sur le lien effectif entre l’enseignement et la recherche et sur le respect de la liberté académique et de la fonction critique;
  • une université développée en réseau par la concertation des établissements dans une perspective globale étrangère à la concurrence;
  • une université vouée au développement intégral aux trois cycles d’études de tous les établissements sur l’ensemble du territoire et à l’aménagement cohérent de leur complémentarité, dans le respect de leurs champs de compétences spécifiques en enseignement et en recherche;
  • une université respectueuse des droits des personnes et de l’équité, garantissant l’égalité des chances et de traitement pour les femmes et la reconnaissance effective des libertés d’organisation, de représentation et de négociation collectives[13].



Aux fins de la réalisation de cette vision de l'université, nous recommandons en particulier :

  • que le gouvernement s'abstienne de toute réduction d'impôt et se donne les moyens de garantir le financement des services publics, parmi lesquels l'université;
  • que le gouvernement maintienne le gel des droits de scolarité et s’oppose à toute augmentation directe ou indirecte de ceux-ci, notamment à travers les frais dit afférents;
  • que le gouvernement prenne l'engagement de maintenir et de développer le réseau des universités comme un réseau complet sur l'ensemble du territoire du Québec et de le doter de moyens assurant son fonctionnement concerté;
  • que le gouvernement crée à cet effet une Commission nationale des universités et modifie le statut et le mandat de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec;
  • que le gouvernement intervienne pour délimiter les zones d'implantation des établissements;
  • que le gouvernement rétablisse l’usage exclusif du français comme langue d’enseignement dans les universités francophones du réseau, sauf dans le cas d’exceptions justifiées;
  • que le gouvernement rétablisse l'approvisionnement des fonds qui assurent le financement public de la recherche scientifique au Québec : le Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ), le Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies (FQRNT) et le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC);
  • que le gouvernement garantisse aux universités les moyens matériels et humains nécessaires à l'accomplissement de leur mission;
  • que le gouvernement garantisse en particulier pour l'immédiat l'embauche d'un nombre de professeurs réguliers suffisant pour rétablir le rapport entre l'effectif professoral et l'effectif étudiant qui était en vigueur en 1994-1995;
  • que le gouvernement réponde aux demandes d'ajustement du budget de fonctionnement global des universités découlant des résultats de l'étude rendue publique en janvier 2003 par le ministère de l'Éducation du Québec et la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, qui établissent à 375 millions de dollars le déficit de financement des universités du Québec par rapport à celles des autres provinces du Canada, dont 261 millions de dollars de fonds publics;
  • que le gouvernement poursuive, avec notre appui, les efforts pour en arriver à un règlement du déséquilibre fiscal et à la récupération par Québec de l'ensemble du champ de financement des universités avec le transfert des moyens financiers correspondants.



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[1] Comité consultatif sur l’accessibilité financière aux études, Conseil supérieur de l’éducation, mars 2003, p. 20 et 25.

[2] Document de consultation, p. 15.

[3] « Les Québécois s'opposent au dégel des droits de scolarité », article de Tommy Chouinard, Le Devoir, 24-25 janvier 2004, p. A2.

[4] Voir en particulier : le Rapport du Groupe d’experts sur la commercialisation de la recherche universitaire du Conseil consultatif des sciences et de la technologie du Premier ministre du Canada, intitulé Les investissements publics dans la recherche universitaire : comment les faire fructifier, mai 1999; la Politique québécoise à l’égard des universités du ministre d'État à l’Éducation et à la Jeunesse, François Legault, février 2000; le Rapport du Conseil de la science et de la technologie du Québec sur la commercialisation de la recherche universitaire, décembre 2000; et la Politique québécoise de la science et de l’innovation, intitulée Savoir changer le monde, du ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Jean Rochon, janvier 2001. Pour un aperçu plus global sur cette tendance mondiale, on se reportera à l’ouvrage de Christian Laval, L’École n’est pas une entreprise, le néolibéralisme à l’assaut de l’enseignement public, Paris, Éditions La Découverte, 2003 (Coll. Cahiers libres).

[5] Mémoire présenté par le SPUQ à la Commission des États généraux sur l’éducation, septembre 1995.

[6] Un seul établissement existant s’est intégré à l’UQ, l’Institut Armand-Frappier, ancien Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal, en 1975.

[7] Voir « Enjeux et défis de l’université au Québec », dans Analyses et discussions, no 3, hiver 1992, revue publiée par le SPUQ.

[8] Rendues publiques dans un document intitulé L'Université comme service public.

[9] Le Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ), le Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies (FQRNT) et le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC).

[10] Michel Freitag, Le naufrage de l’université et autres essais d’épistémologie politique, Québec, Nuit Blanche éditeur, 1995 (Coll. Essais critiques).

[11] Comme l'écrivait Yves Gingras du Département d'histoire de l'UQAM dans un article de la revue Possibles (vol. 11, no 4, automne 1987, p. 153), intitulé « Le défi de l'université moderne : l'équilibre entre l'enseignement et la recherche ».

[12] Du montant de 375 millions de dollars, 114 millions sont attribuables aux revenus provenant des fonds de dotation. Le reste, 261 millions de dollars, est la différence des ressources au chapitre des fonds de fonctionnement, dont la principale composante est constituée des subventions gouvernementales.

[13] Extraits du document L'Université comme service public, déjà cité.



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