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26 janvier 2008

Métier : professeure, professeur à l’UQAM

Texte paru dans Le Devoir, Cahier spécial Enseignement supérieur, 26 janvier 2008

Dans un communiqué du 16 janvier dernier, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) réagissait à plusieurs des analyses qui se sont multipliées ces derniers mois au sujet de ce que Le Devoir, dans son édition du 12 janvier, nommait la « renaissance obligée » de l’UQAM.  Prenant prétexte de la crise financière due à un dérapage immobilier causé par certains membres d’une direction antérieure, on a vu surgir des analyses sommaires et erronées, notamment au sujet de la manière dont les professeures, professeurs accompliraient leur tâche d’enseignement.  Il importe, comme le suggérait le communiqué de la FQPPU, de contrer un certain nombre de « légendes urbaines » – et de remettre les pendules à l’heure.
   
Professeure, professeur d’université :
un métier complexe
Disons-le d’emblée pour éviter tout risque d’être perçu de manière prétentieuse ou arrogante : ce texte n’a pas l’intention, bien évidemment, de prétendre que la tâche des professeures, professeurs d’université serait « plus importante » que, par exemple, celle des éducateurs du préscolaire, des maîtres du primaire et du secondaire ou des enseignants du collégial. Nul, en effet, ne disconviendra qu’il est absolument capital de bien former nos enfants, nos adolescents et les jeunes adultes qui s’apprêtent à entrer sur le marché du travail ou à poursuivre des études supérieures. On admettra en revanche que, par rapport à ces divers métiers enseignants, celui de professeur d’université est vraisemblablement plus complexe, et qu’il comporte un plus grand nombre d’aspects assez différents les uns des autres.

Concrètement, ce métier comporte trois volets : (1) l’enseignement, (2) la recherche et la création, et ce qu’on appelle (3) le service à la collectivité (au sein de l’université ou ailleurs dans la société). Chacune de ces composantes représente environ le tiers de la tâche professorale – bien que celle-ci puisse être modulée avec des nuances selon les personnes, et au fil de la carrière de chacun. Ainsi, il arrive que, pendant un certain nombre d’années, un tel puisse se consacrer davantage à la recherche alors que, plus tard, il fera un peu moins de recherche, mais aura des responsabilités administratives plus lourdes. L’idée demeure que tous doivent assumer une part raisonnable et équitable de chacune de ces trois composantes.

Au fil des jours, des semaines et des années, les activités des professeures, professeurs se chevauchent et se complètent : ceux-ci, bien entendu, enseignent. À l’UQAM, comme dans l’ensemble des universités québécoises, la tâche habituelle d’enseignement est de quatre cours de trois crédits par année universitaire. À la différence des autres établissements montréalais, ces dispositions sont plus facilement mesurables à l’UQAM puisqu’elles sont inscrites dans la convention collective des professeures, professeurs. Par ailleurs, les professeures, professeurs encadrent également des étudiants de maîtrise et de doctorat qui préparent des mémoires et des thèses, ainsi que des stagiaires postdoctoraux. Un tel encadrement s’étale souvent sur trois, quatre ou cinq ans, parfois plus. Il inclut en outre la formation de ces jeunes chercheurs aux diverses facettes du métier universitaire : processus de recherche et de création, communication savante, écriture scientifique, préparation de demandes de bourses, etc.  Plusieurs supervisent aussi des stages de formation en milieu de travail – avec les nombreux déplacements et les longues heures de présence que cela comporte.

Au plan des services à la collectivité, la tâche des professeures, professeurs est de deux types. À l’externe, elle peut revêtir un grand nombre de formes, selon les domaines de compétences. Un tel, par exemple, travaillera avec des groupes communautaires en vue de mettre en œuvre une importante recherche-action; tel autre offrira son expertise à des musées, des compagnies de théâtre ou de danse, des regroupements professionnels ou syndicaux; et tel autre encore mettra ses connaissances au service d’ONG œuvrant dans des pays en voie de développement. À l’interne, le service à la collectivité est principalement de nature administrative et concerne les divers aspects de la gestion académique. Les professeures, professeurs de l’UQAM, en effet, assument à tour de rôle la direction de programmes d’études, de départements – et même de facultés –, de chaires, de centres et de laboratoires de recherche, de revues scientifiques et de création; ils participent également aux nombreuses réunions et aux divers comités et groupes de travail que requiert une vie universitaire marquée par les exigences de la consultation, de la collégialité et de la démocratie.

Au plan de la recherche et de la création, les professeures, professeurs sont incités à préparer des demandes de subventions lors de concours de plus en plus compétitifs, qui les obligent constamment à donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils doivent bien sûr publier les résultats de leurs travaux, participer à des rencontres scientifiques nationales et internationales avec d’autres spécialistes de leur discipline, rédiger et diffuser des articles, des rapports ou des textes de création, produire des œuvres scientifiques ou artistiques. On fait en outre fréquemment appel à leurs compétences à titre d’analystes et d’experts, y compris dans les médias. Ainsi, et pour prendre un exemple récent, plusieurs professeures, professeurs de l’UQAM ont été sollicités comme experts par la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. Signalons encore que, par rapport à l’ensemble des professions, les professeures, professeurs de l’UQAM (et du réseau de l’Université du Québec) sont sûrement parmi les professionnels les plus fréquemment et les plus rigoureusement évalués, aussi bien par leurs pairs que par leurs étudiants, tout au long de leur carrière, en vue d’une amélioration constante de leurs prestations dans les diverses composantes de leur tâche.

C’est l’ensemble et la diversité de ces activités qui contribuent à faire de l’UQAM, au sein des autres universités québécoises, un véritable creuset du développement et de la transmission des connaissances, au plus haut niveau. Cette réalité, pourtant, et comme le faisait remarquer à juste titre le communiqué de la FQPPU cité plus haut, est souvent peu – et  mal – connue; et ce, en bonne partie parce qu’elle n’est pas toujours facilement quantifiable. S’il est en effet facile de comptabiliser le nombre d’heures qu’une professeure, un professeur passe dans une salle de classe, il l’est beaucoup moins de savoir combien il en a passé à préparer ses cours et à évaluer les travaux de ses étudiants, à peaufiner une demande de subvention de recherche – ou à évaluer celle d’une collègue, d’un collègue –, à rédiger un article, à écrire un livre, à préparer une conférence, à monter un spectacle, à encourager un étudiant tenté d’abandonner ses études de maîtrise, à écrire des lettres de recommandation, à participer à des jurys de thèses doctorales ou à des comités d’attribution de bourses d’études, à participer à la réunion d’un comité de programme, à défendre un dossier au Conseil académique de sa faculté. Une professeure, un professeur d’université doit constamment être à la fine pointe de ce qui se fait dans sa discipline s’il veut être en mesure de faire son métier convenablement, sous peine d’être rapidement dépassé par les évènements. Il ne peut se contenter de reprendre ses mêmes notes d’année en année ni de rabâcher constamment les mêmes données. Pour cela, il doit passer une grande partie de son temps à lire, à réfléchir, à discuter avec des collègues et d’autres spécialistes. Bref, à être constamment à l’affût, sur la brèche. Mais ce n’est pas tout.

Collégialité, démocratie et excellence
Bien qu’elle ressemble substantiellement à celle de leurs collègues des autres universités, la tâche des professeures, des professeurs de l’UQAM est à certains égards différente – et, de ce fait, souvent encore plus mal comprise.  Ainsi, toujours selon Le Devoir (4 janvier 2008), les professeurs de l’UQAM « enseignent deux fois moins que prévu ». Devant une telle manchette, la tentation est grande, convenons-en, de conclure que ceux-ci « se la coulent douce aux frais des contribuables »... Inutile de dire que c’est loin d’être le cas : généralement payés pour trente-cinq heures, les professeures, professeurs d’université, y compris ceux de l’UQAM, auraient plutôt tendance à être des « accros du travail », faisant facilement des semaines de soixante heures, voire davantage. Il faut mesurer ce que cela signifie. D’autant plus lorsqu’on est femme ! Oserions-nous dire et mère de famille qui plus est? Ce que les journalistes ne précisent pas suffisamment, c’est qu’une partie importante des tâches de gestion académique est assumée, à l’UQAM, par des professeures, professeurs alors que, dans la plupart des autres universités, elles le sont par des cadres. Par exemple, une professeure, un professeur de l’UQAM qui, pendant trois ans, assume la direction de son département, aura deux cours par année à donner (plutôt que quatre) afin de pouvoir consacrer le temps ainsi libéré à cette tâche. Soit dit en passant, on notera que ce type de gestion est significativement moins coûteux que si le travail administratif était assumé par un cadre. La différence salariale entre ces deux catégories d’emploi en témoigne largement.

De même, une professeure, un professeur qui obtient d’importantes subventions de recherche peut utiliser une partie de ces sommes pour alléger quelque peu sa tâche d’enseignement afin de pouvoir se consacrer davantage à cette recherche et à la formation de ses assistants de recherche (étudiants de maîtrise ou de doctorat). Ce dernier aspect des choses ne vaut évidemment pas que pour l’UQAM. Mais, œuvrant dans une jeune université dont la réputation d’excellence en recherche restait encore à établir, les professeures, professeurs de l’UQAM ont dû, au cours des décennies récentes, mettre les bouchées doubles – pour ne pas dire triples et quadruples – afin de positionner leur université de manière compétitive sur le terrain de la recherche universitaire de haut niveau. On comprend dès lors que, pour y parvenir, ils aient souvent dû consacrer à la recherche une part singulièrement importante de leur tâche globale.

Dans son communiqué, la FQPPU déplorait le fait que l’on ait diffusé des données sur la charge d’enseignement des professeures, professeurs de l’UQAM sans puiser directement à la source. Mais quelle source? Les directions des universités sont périodiquement invitées à déposer leur bilan devant la Commission de l’éducation de l’Assemblée nationale à Québec. Lors de la dernière session (novembre 2006 – février 2007), les administrations universitaires ont ainsi fait connaître un ensemble de données pour les années 2000-2001 à 2005-2006, y compris en ce qui concerne le nombre moyen de cours donnés par leurs professeures, professeurs. Or le fait est que ces chiffres, en ce qui concerne l’UQAM, présentaient un portrait extrêmement différent de celui – rapide, largement erroné et sans nuances – que Le Devoir en a tracé à plusieurs reprises ces derniers temps.

Une université sous-financée
Voici par ailleurs que, dans le contexte de la crise financière qui secoue l’UQAM depuis plusieurs mois, diverses avenues de « redressement » ont été évoquées, dont certaines ont fait référence à l’idée de « sacrifice »; un « sacrifice » auquel devrait consentir la communauté universitaire dans son ensemble – notamment les étudiants (à travers un accroissement de leurs frais d’études) et les professeures, professeurs (au moyen d’un réaménagement de leur tâche). Outre que l’idée de « sacrifice » ait de fâcheux relents d’un âge que l’on croyait révolu, elle est – on en conviendra – assez paradoxale : on se demande en effet au nom de quelle logique les deux groupes qui ont constamment et systématiquement dénoncé les aventures immobilières de l’UQAM (ce sont elles qui ont entraîné la crise actuelle, il ne faut pas le perdre de vue) devraient être ceux qui « se sacrifient » pour réparer maintenant les pots cassés. Et cela, d’autant que, comme l’a bien mis en lumière le rapport de la firme comptable PricewaterhouseCoopers engagée par l’UQAM pour l’aider à préparer un « plan de redressement » de sa situation financière, les professeures, professeurs de l’UQAM sont déjà les moins bien payés de tout le réseau universitaire québécois, et ceux qui doivent travailler avec le plus faible ratio profs/étudiants. D’où, d’ailleurs, le fait que l’UQAM compte, à juste titre, sur un nombre important de personnes chargées de cours pour offrir les enseignements requis, les professeures,  professeurs réguliers ne suffisant pas à la tâche. La première partie du rapport PricewaterhouseCoopers l’indique clairement : « Les professeurs dispensent 47 % des cours à l’UQAM contre une moyenne de 61,8 % dans les autres universités montréalaises ». Ce que le rapport de la firme comptable met également en lumière, c’est que les professeures, professeurs de l’UQAM exercent leur métier dans une université qui est la plus sous-financée de tout le réseau universitaire québécois mais où, pourtant, les ressources matérielles – même souvent modestes – sont utilisées de manière optimale, et où la formation des étudiantes, étudiants coûte le moins cher. Dans ces conditions, et comme titrait en une Le Devoir du 14 janvier dernier, affirmer que « L’UQAM doit encore dégraisser » a – on en conviendra – quelque chose d’aussi injuste que grotesque.

Vent debout !
Les professeures, professeurs de l’UQAM, comme l’ensemble de la communauté universitaire, et comme ils l’ont fait depuis la naissance de leur université, il y a près de quarante ans, sont prêts à faire tout leur possible pour aider leur établissement à sortir de la crise actuelle.  D’autant que les conditions de travail des professeures, professeurs sont les conditions d’apprentissage des étudiants. Sacrifier les premières ne saurait être qu’au détriment des secondes : nous ne nous y résoudrons jamais. Au mieux, d’ailleurs, en voulant par exemple augmenter le nombre d’heures de cours des professeures, professeurs, ou en sabrant dans les dégrèvements que ceux-ci obtiennent lorsqu’ils assument des tâches administratives ou font de la recherche, on récupérerait quelques millions. Hélas ! il faut bien voir que ces sommes sont ridicules en comparaison des dizaines, voire des centaines de millions que représente le déficit appréhendé – et, redisons-le, lié à un dérapage immobilier dont ne sont responsables ni les étudiantes, étudiants, ni les professeures, professeurs, ni les employées, employés de l’UQAM.

Ce déficit, à vrai dire, seul le gouvernement du Québec a le pouvoir, les moyens – et le devoir politique – de le juguler, comme il a celui de mettre un terme au sous-financement chronique et criant qui fragilise depuis trop longtemps l’ensemble des universités québécoises, et l’UQAM en particulier, par rapport au reste du Canada, de l’Amérique du Nord et du monde occidental. Voyons les choses comme elles sont : dans le contexte actuel, toute stratégie « sacrificielle » ne pourrait que contribuer à dissuader les jeunes chercheurs les plus prometteurs de venir travailler à l’UQAM, au moment même où celle-ci amorce le renouvellement de son corps professoral le plus important de son histoire.  Ce qu’on « sacrifierait », alors, c’est l’avenir même de l’UQAM, de sa compétitivité et de sa mission.

L’UQAM, forte de plus de 40 000 étudiants, est l’une des composantes majeures du réseau universitaire québécois. C’est l’une des ressources que le Québec s’est données, à la fin des années soixante, pour rattraper son retard dans la formation post secondaire par rapport aux grandes démocraties industrialisées. Résolument urbaine et populaire depuis sa fondation, notre Université s’est toujours fait un point d’honneur de conjuguer excellence et accessibilité, innovation et démocratie, créativité et humanisme. Cette mission historique – toujours aussi pertinente – les professeures, les professeurs de l’UQAM ne laisseront pas la crise financière actuelle la mettre en péril. Ils continueront de consacrer le meilleur de leur talent et de leur énergie à la défendre et à la poursuivre.

Michèle Nevert, présidente
Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM (SPUQ)